Construire la ville durable par nous-même. Apprendre des préceptes de développement durable ancrés dans la ville africaine.
Version originale en français
L’Afrique est aujourd’hui le continent qui connaît la plus grande poussée démographique avec une urbanisation grandissante. Selon les projections de l’OECD le continent africain accueillera, d’ici 2050, 950 millions de nouveaux citadins1-2. À l’heure où le monde a pris conscience du changement climatique, des limites des énergies fossiles et surtout de la nécessité de repenser nos modes de consommation et de production, les établissements humains en Afrique vont devenir le lieu où va se jouer la production du monde demain. Les villes africaines se sont construites par des politiques de planification coloniales et post-indépendance, qui répliquent des paradigmes urbains occidentaux et ont sou- vent échoué à accommoder les modes de vies uniques africains et aussi prévoir cet accroissement démographique. On le voit aux inondations répétées dans les capitales africaines ou dans la persistance de bidonvilles intra-urbains. Par nécessité et pragmatisme, les habitants ont développé une attitude d’adaptabilité, résilience et inventivité qui sont riches en enseignements pour construire la ville durable de demain. Ces formes d’architectures vernaculaires et de savoirs endogènes nous renseignent sur des principes d’économies, adaptabilité, résilience et empouvoirement puisés dans nos cultures traditionnelles et contemporaines.
LE SEAU ET LA LUTTE CONTRE LE GASPILLAGE DE L’EAU
La question de la gestion de l’eau est critique aussi bien dans un contexte de désertification et de sécheresse accrue ou de fortes pluies et inondations, que l’on observe de plus en plus. Plus de 300 millions de personnes n’ont pas accès à l’eau potable3. Les coupures d’eau font partie du quotidien de beaucoup d’Africains, y compris les capitales et métropoles. Cette réalité pousse les ménages africains à utiliser des seaux (ou bassines) comme objets essentiels de leur quotidien. Cet outil est un instrument de mesure et de contrôle de la quantité d’eau utilisée. Une personne peut se doucher avec 7L d’eau, faire la vaisselle avec 6L d’eau, tirer la chasse d’eau avec un seau de 10L et laver le linge avec 20 à 30L d’eau. Avec 40-50L d’eau par jour (dont la moitié n’a pas besoin d’être potable), on peut largement subvenir à nos tâches quotidiennes. Comparé à une consommation moyenne d’eau de 450L par personne par jour aux États-Unis ou 150L par personne par jour en France4, le citadin africain a déjà adopté les gestes qui permettraient d’atténuer le stress hydrique à échelle globale.
Il reste important de protéger les ressources en eau et d’adopter une politique anti-gaspillage dans les usages domestiques et personnels afin que nos ressources hydriques puissent être déployées dans des domaines plus critiques liés à la subsistance, tels que l’agriculture non-intensive, l’élevage ou le domaine médical.
Le seau. Habiter Dakar, 2022 ©Katia Golovko
LA CHAISE DU GARDIEN ET LA CULTURE DE LA RÉPARATION
La culture du réemploi, du recyclage et de la réparation sont visibles au quotidien dans les villes africaines. La culture de la fabrication industrielle étant encore émergente5, beaucoup d’accessoires du quotidien sont importés. Face à cette donne et face à la précarité économique, la culture de la réparation et du réemploi est un moyen d’étendre le cycle de vie d’un objet. Cette chaise d’un gardien de résidence (photo ci-dessous) montre comment une simple chaise en plastique a été renforcée avec du bois pour la rendre plus robuste pour un usage permanent.
Chaise de gardien. Dakarmorphose et Habiter Dakar, 2017 ©Nicolas Rondet
On retrouve beaucoup d‘objets transformés et adaptés, qui non seulement nous placent dans une économie circulaire, mais démontrent aussi l’ingéniosité née dans un contexte de rareté des ressources et d’optimisation de l’existant.
Cet exemple nous amène à non seulement remettre en question la consommation de masse, mais aussi la dépendance des États africains envers les importations de produits venant de l’étranger. Au-delà de la production de biens matériels, la question de l’entretien pèse beaucoup sur le bilan carbone, ainsi la capacité à réparer ou transformer devrait devenir un critère central de nos modes de consommation pour ne pas tomber dans une importation de masse de produits à usage unique (certains types de plastiques) qui finiront dans des décharges, contribuant à la pollution et aux émissions de gaz à effet de serre.
Cette frugalité créative doit également s’étendre au secteur de la construction, responsable de près de 42% des émissions de gaz à effet de serre à l’échelle mondiale6. L’urbanisation galopante des villes africaines, dominée par le béton, impose une réflexion autour de modes alternatifs de récupération de l’espace, plus respectueux de l’environnement tout en remettant l’humain au centre.
LA CABANE EN BOIS : VERNACULAIRE URBAIN ET MULTITUDES DES RESSOURCES MATÉRIELLES DE LA VILLE
Les architectures vernaculaires du Sénégal telles que présentées dans l’ouvrage L’habitat traditionnel au Sénégal : Etude de l’habitat rural7 démontrent une variété de typologies de logements traditionnels construits avec les matériaux de proximité tels que la paille, la pierre, la terre et du bois pour les éléments de structure (charpente, planchers). La cabane en bois ne figure pas dans les constructions traditionnelles (précoloniales) du Sénégal, pourtant elle apparaît au début du XXe siècle dans des anciennes capitales coloniales telles que Saint Louis et Dakar8.
Ces cabanes en bois sont des typologies de logement pour les Africains/autochtones (dans le quartier de la Médina à Dakar, par exemple) et pour les travailleurs à la recherche de travail. Elles sont constituées de bois issus de caissons utilisés dans le transport ferroviaire et de toitures en tuiles. La matérialité de ces cabanes fait écho au vernaculaire traditionnel dans son usage des matériaux de proximité, en l’occurrence des matériaux de récupération pour répondre à une demande spécifique de logement dans un contexte urbain. Ces maisons étaient construites par les habitants et même souvent déplacées physiquement lors des politiques d’expulsion.
On voit toujours des cabanes voir le jour sur des parcelles vides, occupées par des populations défavorisées qui ont la possibilité de les ériger en un ou deux jours. Une cabane de 2.5m x 3m coûte entre 200 et 250 euros avec transport et assemblage.
Cette tendance à la récupération se manifeste aussi dans la démolition des bâtiments où les profilés des portes et fenêtres en aluminium sont récupérés et nourrissent une industrie de la fonte, qui les revalorise en marmites et ustensiles de cuisine. Il en est de même pour les ferraillages d’acier de béton armé ou la robinetterie en laiton, recyclés dans des unités de production nichées dans la ville de Dakar. La récupération et le recyclage créent de vraies économies citadines qui limitent la production des déchets et voient des opportunités dans les possibilités infinies de transformation de la matière. La ville est ainsi une mine perpétuelle où la ressource est changeante mais les dynamiques de transformation sont perpétuelles, inscrivant la construction dans des cycles de vie vertueux.
Cabanes en bois. Dakarmorphose et Habiter Dakar, 2022 ©Nicolas Rondet
LA CONSTRUCTION EN TERRE : UNE TECHNIQUE ANCESTRALE POUR L’EMPOUVOIREMENT DES PERSONNES
Si l’analyse de cycle de vie dans la construction confère une grande vertu à la récupération et au recyclage, il n’en demeure pas moins que beaucoup de matériaux recyclés, tels que le plastique, l’aluminium et l’acier, ont une forte énergie grise et ne sont pas originellement produits au Sénégal ou dans d’autres pays africains de la sous-région. Pour créer de la résilience face aux changements climatiques, il est plus que pertinent de se pencher vers des matériaux de construction biosourcés. Au Sénégal, comme dans beaucoup d’autres pays africains, il est rare de voir des constructions en terre, et la perception de beaucoup est que ce matériau est cantonné au monde rural ou au passé. La technique de la bauge, par exemple, consiste à faire des boules de terre humides à la main et de les tasser suivant un tracé de plan pour en faire des couches de 40-50cm de haut qui sont séchées au soleil pendant cinq jours, en attendant le prochain week-end où une couche supplémentaire est rajoutée. Au bout de quatre week-ends, le mur atteint 2m de haut et les linteaux de portes et fenêtres avec le rônier coupé sont posés. Une ou deux couches plus tard, la charpente de toit peut déjà être posée et la paille de riz est ensuite placée pour faire le toit de chaume.
Loin de la ville, les traditions de construction en terre ont été préservées dans certaines localités du pays, et ont la capacité d’être adaptées à des typologies contemporaines. Loin de ressembler à la case à impluvium traditionnelle, ces constructions emploient une même technique ancestrale ; ainsi cette maison d’hôtes aux murs rectilinéaires est construite avec la matière et main d’œuvre trouvées sur place. Elle permet surtout à l’habitant de retrouver de l’auto-détermination en façonnant lui-même son habitat avec des matériaux naturels qui sont réutilisables et qui créent des bâtisses plus adaptées au climat tropical. En la construisant avec ses pairs, la transmission du savoir-faire s’opère, permettant non seulement la réplicabilité des techniques ancestrales tout en leur permettant d’entretenir leurs maisons.
Chantier d’une maison d’hôtes en bauge par Worofila. Casamance, 2021 ©Nzinga B. Mboup
Test de cigares de terres argileuses par Worofila. Sénégal, 2024 ©Oumar Sanoko
LES ATELIERS DE CONSTRUCTION EN TERRE ARGILEUSE ET LA DÉMOCRATISATION DES SAVOIR-FAIRE
Au cours de ces dernières années, on assiste à un essor de la construction en terre crue où différents architectes contribuent à la production de bâtisses en terre crue et autres matériaux biosourcés au sein de la ville même. Bien que ceci contribue à déconstruire la perception que la terre n’est pas un matériau rural, ces bâtisses sont construites utilisant des techniques qui ne sont pas à la portée de tout le monde. La BTC (brique de terre comprimée), qui est la technique la plus utilisée dans ces exemples, exige d’avoir une presse bien calibrée.
Cette année, nous avons travaillé pour mettre sur pied des ateliers d’apprentissage de la terre argileuse afin de contribuer à la dissémination des compétences techniques liées à la conception et exécution de bâtiments faisant recours à des matériaux géo (terre) et biosourcés (fibres végétales). Lors des ateliers, les participants sont exposés à la diversité de terres en termes de couleurs, granulométrie, plasticité. On leur présente les différents tests qui permettent de caractériser ces différentes terres avant de déterminer leurs usages, qui varient de la confection de briques adobes à la mise en œuvre d’enduits pour la construction. Les terres argileuses ont été sourcées à moins de 60km de Dakar, notamment dans la commune de Sébikhotane. Il en est de même pour le typha, cette plante aquatique invasive qui sert d’isolant thermique, sourcée dans les lacs à la sortie de la capitale
Fabrication d’adobes par Worofila Sénégal, 2024 ©Oumar Sanoko
Ces ateliers mettent en œuvre un apprentissage de la terre axé sur l’observation de la matière en engageant tous les sens tels que la vue, l’odorat et le toucher pour déterminer les propriétés des terres argileuses. L’analyse de ces terres en fonction de leur plasticité et degré d’humidité, détermine leurs mises en œuvre dans la construction et permet une grande adaptabilité selon le besoin et l’argile disponible. Par exemple, si on perçoit des fissures sur un enduit fait avec une terre trop argileuse, on peut facilement le corriger en ajoutant au mélange de la fibre ou du sable. Avant d’obtenir le bon dosage, on se prête à un processus itératif qui fait appel à notre intuition, empirisme, et, à terme, nourrit des réflexes de bonne pratique.
La technique de l’adobe et les enduits en terre ne demandent pas de machines spécifiques, juste des outils usuels tels que seaux, truelles et moules. La terre argileuse des briques n’est pas stabilisée (contrairement à la BTC) et peut être réutilisée autant qu’on le souhaite. Ces techniques, également appelées « low-tech », portent en elles un vrai potentiel de démocratisation.
CONCLUSION
Comment construire la ville africaine de demain pour qu’elle soit adaptée aux réalités des habitants sans compromettre le bien-être des générations futures ? Ce défi nous pousse à employer des modes de vie qui ne gaspillent pas les ressources que nous avons, et à puiser l’inspiration dans nos histoires urbaines et rurales, riches en exemples d’inventivité et d’utilisation de la matière locale, et moins polluante. La transmission des savoirs ancestraux peut s’opérer dans le cadre urbain et il est de notre ressort, en tant qu’architectes et citoyens africains, de réfléchir à des modèles de construction vertueux et démocratiques afin que les habitants puissent s’approprier la ville et l’entretenir. Pour ceci, les modèles doivent se nourrir de l’intelligence collective qui a produit des solutions déjà manifeste dans notre quotidien. La culture de résilience, d’adaptabilité et de créativité du continent le plus jeune, centrée sur l’humain comme agent de son environnement, sont les meilleurs outils pour œuvrer pour un développement durable.
Maison en terre à Dakar, conçue par Worofila. Sénégal, 2023 © Sylvain Cherkaoui
1 : Africa’s Urbanisation Dynamics 2020 (2020) Published by OECD
2 : Maeling Lokko, Frederick Wireko Manu, Nzinga Mboup, Mohamed Aly Etman, Marco Raugei, Ibrahim Niang, Kingdom Ametepe, Rosemary Sarfo-Mensah. Comparing the whole life cycle carbon impact of conventional and biogenic building materials across major residential typologies in Ghana and Senegal, Sustainable Cities and Society, Volume 106, 2024
3 : Bazié, J. (2014). Accès à l’eau : l’Afrique entre abondance et pénurie. Après-demain, 31-32, NF, 28-29. https://doi.org/10.3917/apdem.031.0028
4 : Consommation domestique en eau potable –Notre environnement. République Française https://www.notre-environnement.gouv.fr/themes/ societe/le-mode-de-vie-des-menages-ressources/article/consommation-do-mestique-en-eau-potable
5 : « Entre 2011-2013, les produits manufacturés représentaient seulement 18,5 % des exportations, tandis que 62 % de l’ensemble des importations étaient des produits manufacturés ». Groupe de la Banque africaine de développement. https://www.afdb.org/fr/the-high-5/industrialize-africa
6 : R. Crawford, Life cycle assessment in the built environment, Taylor & Francis (2011) https://www.architecture2030.org/why-the-built-environ-ment/
7 : Dujaric P., L’habitat traditionnel au Sénégal : Etude de l’habitat rural, Ecole d’Architecture et d’Urbanisme de Dakar, 1976
8 : Saint Louis a été la capitale de l’Afrique occidentale française entre 1895 et 1902 et Dakar de 1902 jusqu’en 1960, année de l’Indépendance.